“ Comme tant d’autres, je fus subjugué par ce garçon précoce et
envoûtant, déjà légendaire... ” C’est ainsi que John Sculley a relaté sa
première entrevue avec le fondateur d’Apple en 1982. Il en fallait de
l’audace à ce jeune homme pour venir frapper à la porte du
vice-président de Pepsi, l’une des premières entreprises américaines,
avec pour objectif de l’embaucher !
Deux ans plus tôt, un autre ponte dans la fleur de l’âge avait été
effaré par la puissance de conviction d’un jeune homme de 25 ans. En
frappant à la porte d’une petite édition de Seattle, Bill Lowe, d’IBM,
avait été déconcerté par l’apparence juvénile de son hôte. La surprise
avait été de courte durée : "Dès que Bill Gates se mettait à parler,
toutes les considérations sur son âge disparaissaient. Nous buvions ce
qu’il disait".
Etincelles
Steve et Gates étaient ainsi... Animés d’une authentique flamme, ne
reculant devant aucun obstacle pour concrétiser leurs rêves. Pourtant,
leurs chemins étaient voués à demeurer parallèles. Si la saga
micro-informatique a contraint ces deux êtres à collaborer, leur
croisement a donné des étincelles. Champion des " coups ", Jobs a été le
premier vainqueur, adulé des médias et de l’intelligentsia. Gates a
choisi une stratégie plus complexe, celle de l’omniprésence, et il a
triomphé durant vingt ans. Et puis, sur la ligne droite, Jobs a terrassé
celui que l’on aurait cru indélogeable du haut du podium. Durant
trente-cinq ans, le parcours des deux génies a été fait d’affrontements,
de concessions arrachées, de victoires temporaires ou de désirs de
revanche.
Dès la naissance, tout sépare ces deux atypiques. Ils sont pourtant nés
la même année, en 1955, le 24 février dans le cas de Steve, le 28
octobre pour William Henry III, dit Bill. Mais le premier est un enfant
illégitime, alors que le second naît dans une famille de la haute
bourgeoisie de Seattle. Adopté par le couple Jobs, Steve leur en fait
voir de toutes les couleurs : à deux reprises, ils doivent l’amener
d’urgence à l’hôpital, la première fois, pour un lavage d’estomac, Steve
ayant avalé une bouteille d’insecticide, la seconde parce qu’il a
introduit une broche dans une prise électrique ! Pendant ce temps-là,
Bill truste déjà les premières places, aux classements scolaires. Doté
d’une intelligence hors du commun, il est capable de mémoriser un
monologue de trois pages après une seule lecture !
Réalités paradoxales
Le courant contestataire qui prend forme vers le milieu des années 60
ne peut qu’attirer le jeune Jobs. Au lycée de Los Altos, il dirige un
groupe libertaire dont le fait de gloire consiste à introduire des
serpents dans les classes. De l’autre côté, tandis que la jeunesse
mondiale entre en rébellion, pour le garçon de bonne famille qu’est Bill
Gates, l’année 1968 est associée à sa découverte de l’ordinateur - il
passe des heures incalculables devant le terminal du lycée de Lakeside.
L’électronique passionne également le jeune Steve Jobs. Pour gagner
son argent de poche, l’adolescent achète de vieilles chaînes stéréo, les
répare, puis les revend avec bénéfice. De son côté, le lycéen Gates
découvre qu’il peut arrondir largement ses fins de mois en louant ses
services de programmeur émérite à des entreprises, trop heureuses
d’exploiter les talents de ce surdoué !
Même leur marginalité est dissemblable. Au début des années 70, Jobs
fait la connaissance de Steve Wozniak, un autodidacte de l’informatique
portant lunettes, barbe et cheveux longs. Wozniak a découvert qu’il
était possible de téléphoner gratuitement en simulant une sonorité
précise sur le combiné. Ensemble, ils fabriquent et diffusent des boîtes
bleues permettant d’appeler à l’autre bout du monde sans payer. Pour
Bill, le pied de nez aux adultes relève davantage du tour de force
technologique : prétextant la préparation d’un examen, il se rend à
l’Université de Washington et obtient des renseignements sur la façon
dont est géré le réseau informatique Cybernet. Le jeune Bill Gates
parvient ainsi, pas peu fier, à provoquer un plantage national !
A la différence de Bill, Jobs absorbe les courants d’idées de son
époque. Il fait ses premières armes chez Atari, une entreprise qui
baigne dans l’atmosphère hippie. Mais, comme il éprouve un attrait pour
les philosophies orientales, il part bientôt pour l’Inde. La déconvenue
est rapide : attiré par une vie contemplative, Jobs découvre une réalité
rude. Lorsqu’il revient en Californie, il est décidé à faire carrière
dans le domaine de la technologie. De retour chez Atari, il exploite les
talents de programmeur de Wozniak pour concevoir un jeu vidéo vedette :
Breakout. Pour sa part, à Harvard, l’étudiant surdoué en mathématique,
Gates, s’ennuie et passe de longues soirées à jouer au poker. Une idée
l’obsède : ne pas rater la révolution micro-informatique qui ne saurait
tarder !
Ready. Set. Go !
En 1975, une même nouvelle bouleverse la vie des deux jeunes hommes :
le premier micro-ordinateur a fait son apparition : l’Altair de MITS !
Chacun va se lancer à corps perdu, Steve dans la conception
d’ordinateurs, Bill dans le logiciel. Et les chemins jusqu’alors
parallèles vont se croiser, pour le meilleur et pour le pire.
L’Altair est frustre et loin de répondre aux aspirations des fanas
d’informatique. Après avoir décortiqué l’appareil, Wozniak conclut qu’il
peut faire mieux, et se met à la tâche, dans le garage de Jobs. Ce
dernier persuade Wozniak de laisser tomber son job chez Hewlett-Packard
afin de créer une entreprise, qu’il baptise Apple. Pour commercialiser
l’Apple 1, Jobs pense d’abord à Atari. Mais son look baba cool joue en
sa défaveur : il se fait éconduire par Keenan avec ces mots sévères :
“Enlevez vos pieds sales de mon bureau !”.
Pour Gates, l’arrivée du premier micro-ordinateur est un révélateur :
plus question d’attendre, il se doit d’être présent ! Il programme jour
et nuit le premier Basic de l’Altair. Signe de son incroyable
compétence, son Basic fonctionne du premier coup alors qu’il n’a jamais
vu l’ordinateur auparavant ! Dans la foulée, en juillet 1975, Gates
crée Microsoft avec pour mission de placer son Basic sur tout ce qui
pourrait ressembler à un micro-ordinateur.
L’Apple 1 ne connaît qu’un succès d’estime. Pour Jobs, la raison est
simple : la micro ne percera que lorsque le public se verra proposer des
produits analogues à ceux de l’électro-ménager. L’Apple 2 est conçu
dans une telle optique avec un beau boîtier et un clavier. Les deux
voies semblent déjà tracées : Jobs est un innovateur, Gates a choisi
pour stratégie d’être incontournable. Il a déjà décidé que la
micro-informatique était son territoire à lui !
Jobs va être le premier à monter sur le podium. En prévision du
lancement de l’Apple 2, il séduit des investisseurs et installe Apple à
Cupertino. L’agence McKenna prend en charge la promotion de l’Apple II
et opte pour une publicité dans Playboy. L’Apple 2 récolte
d’innombrables éloges et, dès la fin 1977, Apple fait des bénéfices. De
son côté, Gates prend son bâton de pèlerin et persuade un à un les
constructeurs de micro-ordinateurs d’adopter un Basic de Microsoft...
Incontournable, nous vous l’avons dit. Comme il se doit, le BASIC de
Gates va même se retrouver sur l’Apple 2 ! La jonction s’opère,
doucement mais sûrement…
Projets secrets
C’est en décembre 1979, lors d’une visite au PARC - laboratoire de
recherches de Xerox - que Jobs a le choc de sa vie. L’ordinateur
expérimental Star qui lui est présenté repose sur une “ interface
graphique / souris ” . En découvrant cela, Jobs s’exclame : “ Mais
pourquoi ne commercialisez-vous pas cela ? Vous pourriez pulvériser tout
le monde ! ” Et puis, tout compte fait, puisque Xerox rechigne à
commercialiser un tel ordinateur, Apple va le faire ! Dans le plus
grand secret, Jobs prend la direction du projet Macintosh, un ordinateur
en phase avec ses idéaux hérités de la contre-culture..
Six mois plus tard, Bill Gates participe à son tour à un projet secret,
mais bien moins ‘artiste’. Microsoft a reçu la visite des hommes d’IBM,
qui cherche à entrer dans le domaine des PC. Après d’habiles
tractations, Microsoft décroche la réalisation d’un système
d’exploitation pour l’IBM PC. Incroyable tacticien, Gates réussit à
persuader IBM de laisser Microsoft vendre son système, le MS-DOS, à des
constructeurs de compatibles PC ! Sans le savoir, Big Blue s’est
enchaîné à un stratège dont elle ne pourra plus se séparer. Le MS-DOS va
devenir la vache à lait de Microsoft.
Frères ennemis
Apple entre en bourse en décembre 1980 et Steve Jobs, crédité d’une
fortune de 165 millions de dollars, devient le plus jeune millionnaire
américain. L’heure est à l’euphorie pour la compagnie de Cupertino citée
en modèle. Jobs apparaît en couverture des plus grands magazines et sa
notoriété devient comparable à celle d’une vedette de cinéma. Inconnu de
tous, Gates attend son heure.
A l’annonce de l’IBM PC en août 1981, Jobs se paye l’ironie de saluer
l’entrée de ce concurrent redoutable en s’offrant une pleine page dans
le Wall Street Journal intitulée : “ Bienvenue IBM, sérieusement ”. Une
manière comme une autre de montrer qu’il n’a pas peur de Big Blue. Il
est vrai que depuis deux ans déjà, il dispose d’une stratégie pour
contrer l’arrivée d’IBM. Le projet Macintosh a pris l’aspect d’une
croisade : il va représenter la liberté, le fun, l’esthétique, face à un
PC triste et sérieux. Pour lui, le ‘Mac’ est un progrès incontournable
de l’histoire humaine.
Pourtant, Jobs fait entrer le loup Gates dans la bergerie. En mars 1981,
invité à la Ben Rosen Conference, il expose son point de vue sur le
futur des ordinateurs. Entraîné par l’enthousiasme, il ne peut
s’empêcher d’évoquer la direction que prend Apple avec le Mac. Bill
Gates est électrisé par une telle vision. Après la conférence, ils
s’entretiennent avec ferveur.
A la fin de l’été, les deux hommes se rencontrent chez Apple et Bill
Gates reçoit une démonstration de la machine prototype. Immédiatement,
Gates fait peur à Jobs : trop curieux, trop malin… Il pose un peu trop
de questions sur le Mac et Jobs demande même à l’un de ses techniciens
de la fermer. Il demeure que Jobs a furieusement besoin de logiciels et
il propose donc d’associer Microsoft au lancement du Mac, à charge pour
Gates de réaliser trois programmes : Word, Multiplan et Chart. Grave
erreur. Très vite, les deux génies vont s’affronter. Jobs raille le fait
que Gates travaille pour Big Brother, alias IBM. De son côté, Gates se
moque de Jobs, qui selon lui “ se gargarise de phrases comme quoi le Mac
va conquérir le monde ”. Pour couronner le tout, le créateur de
Microsoft prend plaisir à faire ressortir les faiblesses techniques du
Mac. Il n’a pas forcément tort.
Gloves off
Pour promouvoir le Mac, Jobs veut s’adjoindre un génie du marketing :
John Sculley, l’artisan du changement d’image de Pepsi auprès des
jeunes, et il parvient à convaincre ce manager bon teint de rejoindre
Apple au printemps 1983.
À peine arrivé chez Apple, Sculley se retrouve confronté à un drôle de
blondinet dont le visage lui rappelle celui de Woody Allen. Ayant appris
qu’Apple s’apprêtait à publier un Mac Basic, Gates a demandé à
rencontrer Sculley sans attendre. Microsoft jouit d’une situation proche
du monopole sur ce langage et, déjà, Gates n’entend pas céder un pouce
de terrain.
Face à Sculley, Gates menace de supprimer la licence du Basic de l’Apple
II si Sculley maintient le Mac Basic ! Or, c’est encore l’Apple 2 qui
fait vivre le constructeur de Cupertino, et l’absence du Basic serait
catastrophique. Apple est donc contraint d’annuler le projet Mac Basic !
Là n’est pas tout : Jobs et Sculley découvrent bientôt que Gates a pompé
l’interface du Macintosh et prépare Windows. Lorsque Jobs, hors de lui,
convoque Gates pour lui passer un savon, Bill ne se démonte
aucunement : comme il le dit, ils ont tous deux pompé l’invention de
Xerox et Gates en a lui aussi acquis une licence !... L’ambiance entre
les deux garçons évoque désormais celle d’une guerre froide.
Irrité par les prétentions de Gates, Jobs prépare des représailles : à
quelques mois du lancement du Mac, il explique qu’il serait préférable
de ne pas livrer Word, Multiplan et Chart avec le nouvel ordinateur.
Gates se laisse convaincre et le contrat établi est annulé sur ce point.
Il ne tarde pas à découvrir que Jobs l’a berné : ce sont deux logiciels
maison, MacPaint et MacWrite qui seront livrés avec la machine ! A son
tour, Gates mijote sa revanche.
Le 23 janvier 1984, date de lancement du Mac, est le grand moment de
gloire de Jobs. Bill Gates n’est qu’un éditeur invité parmi d’autres,
tandis que Jobs est la vedette des médias. Macintosh fait la une de
magazines branchés et accorde plus de 200 interviews. L’enfant prodige
de la micro, c’est encore et toujours lui !
Malgré le lancement en fanfare du Mac, le soufflé ne tarde pas à
retomber. Du fait de la limitation à 128 Ko, le Mac s’avère incapable de
faire tourner autre chose que MacWrite et MacPaint ! Au lieu des 85.000
ventes prévues initialement, il plafonne aux alentours de 20.000
unités. La crise pointe au début de l’année 1985 lorsque des revendeurs
réclament la possibilité de retourner les invendus. Sculley découvre au
passage que Jobs a imposé des choix techniques incohérents pour
Macintosh. Apple se voit condamné à la faillite, faute d’une reprise en
main rapide.
En parallèle, le torchon brûle de plus en plus entre Apple et Gates.
Jobs et Sculley voudraient poursuivre Microsoft en justice à propos du
logiciel Windows, que Microsoft s’apprête à lancer et qui s’inspire du
Mac. Gates montre les dents : il menace d’arrêter le développement de
Word et d’Excel, deux logiciels essentiels pour imposer le Mac auprès
des entreprises, s’il n’obtient pas le droit d’incorporer certains
éléments de l’interface du Macintosh dans Windows. Acculés, Jobs et
Sculley concèdent bon gré mal gré à Gates un droit d’utilisation de
divers aspects du Mac.
Lors de la conférence de présentation d’Excel, Jobs est aux côtés de
Gates. Après la présentation, Gates, espiègle, ne peut s’empêcher de
déclarer que tôt ou tard, “ Les PC auront également une interface
graphique ”, allusion non voilée au Windows qu’il prépare. Ironique,
Jobs sous-entend alors qu’il ne verra pas une telle ère de son vivant !
Sous les sourires, l’ambiance est à couteaux tirés.
Pourtant, Apple est au plus mal. Après s’être résolu à un licenciement
de 1200 employés, Sculley écarte Jobs de la direction. Suite à une
tentative avortée pour renverser Sculley, Jobs s’effondre et annonce sa
démission le 17 septembre 1985. Celui qui a été à l’origine de la plus
grande révolution informatique se retrouve hors du jeu.
Jobs crée une nouvelle société, Next, et prépare l’ordinateur du futur.
Le projet séduit Canon et le milliardaire Ross Perot qui investit 20
millions de dollars dans l’aventure. Jobs place également une petite
partie de sa fortune - 10 millions de dollars - dans le rachat d’une
société spécialisée dans l’animation en images de synthèse, Pixar.
A Cupertino, la tension monte. Windows 2.0, qui est publié fin 1987,
s’inspire plus ouvertement de l’interface du Macintosh. L’environnement
graphique pour PC est désormais perçu comme une menace : à terme, Apple
ne pourrait plus faire jouer sa spécificité.
Le 16 mars 1988, Gates dîne tranquillement avec John Sculley. Le
lendemain, un journaliste l’appelle pour lui demander un commentaire
sur le procès.
Un procès, quel procès ?
Sculley a prévenu la presse avant Gates ! Microsoft est accusé
d’avoir violé les termes de l’accord de 1985. Apple demande la cessation
de vente de Windows 2.0. Réplique mordante de Gates : « Le procès a
pour but de faire croire qu’Apple a inventé cette technologie, alors
qu’en fait Steve et moi avions un voisin nommé Xerox et sommes tous les
deux entrés chez lui, Steve par la porte et moi par la fenêtre ! ». Même
s’il n’est plus chez Apple, Jobs n’est pas mécontent de voir Apple
monter au créneau face au petit titan du logiciel !
Lancé en octobre 1988, la boîte noire Next est un chef-d’œuvre
technologique et traduit une conception avant-gardiste. Il est pourtant
trop tard pour imposer un nouveau standard face aux PC et Macintosh
devenus omniprésents. D’ailleurs, Gates ne se prive pas de clamer que
Microsoft n’écrira aucun logiciel pour Next. Steve Jobs réplique par
voie de médias qu’avec Next, 3 programmeurs pourraient faire ce qui en
demande 300 chez Microsoft. Mais sa voix peine désormais à se faire
entendre…
Pour Gates, la situation évolue du tout au tout en 1990. Windows 3.0 est
un raz-de-marée tel qu’il bouleverse la donne de l’informatique et fait
de Microsoft un n°1 implacable. Sa santé éclatante contraste avec celle
des acteurs principaux de l’informatique - en 91, même IBM, pour la
première fois de son existence se retrouve déficitaire avec une perte de
2,8 milliards de dollars.
La montée en puissance de Microsoft entraîne un rapprochement que
personne n’aurait envisagé quelques années auparavant. John Akers qui
préside IBM donne cet ordre : « Décrochez un accord avec Apple coûte que
coûte !" Un pacte est officialisé en juillet 1991. Il donne naissance à
plusieurs filiales communes dont l’une, Taligent, doit développer un
système concurrent de Windows.
Jobs ne demeure pas en reste. Lorsqu’il apparaît que le gouvernement
américain mène une enquête sur la société de Gates, l’ancien fondateur
d’Apple se fait publiquement l’avocat d’un démantèlement de Microsoft !
Pourtant, le 26 août 1991, lorsque Fortune place en couverture les
enfants terribles de la micro-informatique, Jobs semble adopter un
profil bas face à un Gates dominateur. Celui qui a porté une pâle copie
du Macintosh sur les PC a gagné la partie !
Orifice très large
Jobs : Un grand nombre de gens pensent que IBM a inventé l’ordinateur
personnel. Bien évidemment, ce n’est pas vrai !
Gates : Ils sont également nombreux à croire que c’est Apple et cela
n’est pas vrai non plus. Nous avons écrit notre premier programme pour
l’Altair en 1975.
Jobs : Je m’étonne que personne ne soit entré en compétition avec vous.
Il y a des centaines de compagnies qui fabriquent des PC.
Gates : Exact.
Jobs : Malgré cela, ils sont tous obligés d’en passer par ce très petit
orifice qui s’appelle Microsoft.
Gates : C’est un orifice très large !
Si Jobs apparaît éteint, c’est qu’il sait que la fin de Next est
proche. En 1992, alors que Gates est sacré « homme le plus riche des
USA » ( !), Jobs annonce la fin des ordinateurs Next.
Tandis que la puissance de Gates ne cesse de s’accroître, Jobs semble
relégué à l’Histoire. Serait-il devenu un has-been ? Lors d’une
interview donnée en 1996, un Steve Jobs très amer lâche une saillie sans
appel envers son compétiteur d’antan : « Le problème avec Microsoft,
c’est qu’ils n’ont pas de goût ! ». Bien qu’il siège au sommet de
l’informatique, Gates encaisse tant bien que mal la critique. Et Jobs
ira jusqu’à s’excuser à sa façon, affirmant qu’il le pensait mais qu’il
n’aurait pas dû le dire publiquement.
En 1995, contre toute attente, Steve Jobs se paye le luxe de renaître
de ses cendres. Au fil des années, il a injecté 50 millions de dollars
dans une société d’images de synthèse du nom de Pixar et a parfois été
tenté de la vendre. Lorsque Disney a confié à Pixar la réalisation du
premier long métrage sur ordinateur, Toy Story, l’horizon s’est
éclairci.
Lors du week-end de sortie du film, le 19 novembre 1995, Toy Story
engrange 39 millions de dollars. Dix jours plus tard, en un scénario
savamment calculé, Jobs introduit Pixar en Bourse et ses 80% de parts se
transforment en or. Longtemps délaissé par les médias qu’il affectionne
tant, Jobs fait un retour en première page des magazines.
Un autre come-back aussi inattendu se prépare. En décembre 1996, le
président d’Apple, Gilbert Amelio prie Jobs de reprendre du service à
titre de conseiller à temps partiel. Incroyable mais vrai, Jobs est de
retour chez Apple…
En atteignant la quarantaine, le rebelle a pris de la distance. C’est
ainsi qu’il se résigne à un acte presque inconcevable. A cette époque,
Gates veut conquérir Internet coûte que coûte et pour écarter le n°1 du
domaine, Netscape, il est prêt à payer le prix... Apple, de son côté, a
besoin de la gamme Office de Microsoft pour convaincre les entreprises
de continuer à acheter des Macintosh. Or, Gates menace d’en arrêter les
développements.
Le 7 août 1997, une douche froide attend les fans du Macintosh, venus à
Boston témoigner leur soutien au fondateur d’Apple. Après avoir préparé
la salle en expliquant qu’"Apple a besoin de toute l’aide possible",
et qu’il faut enrayer coûte que coûte la chute du chiffe d’affaires,
Jobs explique qu’une société va investir 150 millions de dollars et
qu’elle n’est autre que... Microsoft.
Une avalanche de cris fait suite à cette déclaration. Jobs invite
néanmoins Gates à s’exprimer, par le biais d’une liaison satellite. Un
tonnerre de huées accueille le seigneur du monde Windows. Steve Jobs
déploie des trésors de persuasion pour inciter la foule à de timides
applaudissements. S’il a agi pour le bien d’Apple, on peut imaginer
qu’il en ait souffert. Gates aurait-il gagné par K.O ? Pas si vite…
Monopole
Le vent tourne... En octobre 1997, le Ministère de la Justice annonce
qu’il reprend une offensive en justice amorcée en 1990 envers Microsoft
pour abus de position dominante. Or, Jobs n’est que trop heureux de
mêler la voix d’Apple aux plaignants.
Lors de sa déposition contre la firme de Gates, un haut responsable
d’Apple se montre féroce, exige la plus grande sévérité du Ministère de
la Justice. « Si Microsoft n’avait pas fait jouer son monopole sur
les logiciels bureautiques, en menaçant de ne plus développer Office
pour Mac, Apple n’aurait jamais accepté les termes du compromis de
1997 ! ». Une amertume qui désarçonne si l’on prend en compte que
Microsoft est désormais actionnaire d’Apple !
Pourtant, au début de l’année 2000, Microsoft triomphe encore et
toujours, et l’empire bâti par Bill Gates paraît plus que jamais
inexpugnable, sans l’ombre d’un concurrent à l’horizon. Quand à la part
de marché d’Apple dans le secteur des ordinateurs, malgré le succès de
l’iMac, elle oscille aux alentours de 2 % alors qu’elle dépassait les
10 % vers la fin des années 80. Depuis que Jobs a repris les commandes,
Apple se porte mieux mais l’affaire est encore loin d’être gagnée.
Toutefois, Microsoft n’a plus la cote… En premier lieu, le procès de
1998 a terni l’image de la société de Gates, dont les manœuvres
monopolistiques ont été étalées au grand jour. Quant aux programmes de
Microsoft, ils sont devenus les cibles favorites des auteurs de virus,
et il se passe rarement un mois sans que l’on apprenne la découverte
d’une « faille de sécurité » dans Windows, Internet Explorer ou Outlook.
Riposte
Le plus étonnant, c’est que la riposte va d’abord venir de là où l’on
ne l’attendait pas...
En février 2003, Chris Payne, un lieutenant de Bill Gates, propose à ce
dernier une vaste stratégie pour lutter contre une société alors
microsocopique : Google. Gates, persuadé que Microsoft peut mieux faire,
ne donne pas suite. Grave erreur : lorsque Google entre en bourse en
août 2004, le monde découvre qu’un nouveau géant est né et qu’il détient
désormais le point d’entrée principal sur le Web ! Qui plus est, Google
est devenu la société ultra cool et débauche un à un de hauts cadres de
Microsoft !
Gates a beau essayer, impossible d’imposer un moteur de recherche
Microsoft, rien n’y fait. Et Google ne rate aucune occasion de railler
le n°1, notamment lors du rachat de Youtube que Microsoft convoitait et
qui est emporté au nez et à la barbe de Gates en octobre 2006.
Peu à peu, Gates découvre qu’une autre force s’est peu à peu dessinée.
Apple a repris du poil de la bête et mieux encore, grâce à l’iPod sorti
en 2001, elle est redevenue la société branchée du moment ! Mieux
encore, l’iPod fait d’Apple le n°1 de son secteur, une chose qui ne lui
était presque jamais arrivée. L’arrivée des processeurs Intel sur les
Mac en 2006 marque une nouvelle avancée : désormais les utilisateurs de
PC peuvent acquérir un Mac, et faire cohabiter MacOS et Windows. La
plupart du temps, ils laissent rapidement tomber le second…
Pourtant, la furie ne fait que commencer… L’annonce de l’iPhone en
janvier 2007 est un nouveau coup d’éclat de Jobs. Apple terrasse
littéralement Microsoft qui n’a jamais réussi à s’imposer en matière de
téléphone mobile. Plus que jamais, Jobs apparaît comme l’esthète et
Gates comme le leader de la société qui « manque de goût »… Et
tandis que les bénéfices d’Apple décollent à la verticale, Microsoft
marque ses premiers signes d’essoufflement. Avant tout, les sondages
d’opinion montrent que Jobs est devenu l’un des individus les plus
adulés des USA !
Lorsque Bill et Steve se retrouvent sur la scène de All Things Digital
en juin 2007, l’attitude de chacun a changé. Désormais, Jobs apparaît
clairement comme celui qui invente les tendances tandis que Microsoft se
contente d’être un suiveur. Si les plaies du passé semblent effacées et
si l’estime paraît mutuelle, Gates a perdu une grande partie de sa
superbe et il ne peut s’empêcher de laisser transparaître son admiration
pour son alter ego…
Quand à Steve, il décoche quelques blagues incisives : Nous recevons du courrier de
beaucoup de gens disant qu’iTunes est leur application favorite sur
Windows, déclare l’interviewer.
Après un haussement d’épaules, Steve Jobs rétorque : C’est comme donner un verre
d’eau à quelqu’un en enfer…
Le 27 juin 2008, Bill Gates officialise son départ à la retraite et
son intention de mener désormais une activité de philanthrope,
redistribuant généreusement les deniers accumulés lors de ses années de
gloire. Pour ceux qui ont connu Gates, partir au beau milieu d’une joute
à grande échelle ne lui ressemble pas. Si ses intentions de bénévolat
apparaissent sincères, comment ne pas y voir en filigrane une trace que
le titan d’hier n’a plus envie comme par le passé de mener le combat...
Le coup final intervient deux ans plus tard. Le 26 mai 2010,
l’incroyable nouvelle tombe : la capitalisation d’Apple dépasse
désormais celle de Microsoft ! Là n’est pas tout. Devenue la première
entreprise de l’univers technologique, Apple est devenue la deuxième
société américaine.
Quelques jours plus tard, le 1er juin 2010, un Steve Jobs triomphant est
interviewé sur la scène de la conférence All Things Digital. Et se voit
questionner sur cet incroyable retournement de situation… Cette semaine, vous avez
dépassé Microsoft en capitalisation. Une réflexion sur ce sujet ? Pour ceux d’entre nous qui
ont été dans l’industrie depuis longtemps, c’est surréaliste, lâche
Jobs…
Il n’y avait pas de place pour deux shérifs et ces deux enfants
terribles ont tour à tour assumé le rôle de leader avec pour chacun une
approche différente. Gates a longtemps mené la danse en imposant bon gré
mal gré un système imparfait aux constructeurs de PC. Jobs a choisi une
autre voie, celle de la séduction, de la créativité, de
l’émerveillement. Dans les livres d’histoire, Gates prendra place au
panthéon de ceux qui ont bâti d’extraordinaires empires industriels.
Jobs sera retenu comme celui qui a introduit la beauté dans la
technologie et amorcé une révolution irréversible…
( Source ; http://www.electronlibre.info/Steve-Jobs-vs-Bill-Gates-Episode-4,01193 // http://electronlibre.info/Steve-Jobs-vs-Bill-Gates-Episode-1,01183 // http://www.electronlibre.info/Steve-Jobs-vs-Bill-Gates-Episode-2,01185 // http://electronlibre.info/Steve-Jobs-vs-Bill-Gates-Episode-3,01189 )