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mardi 1 mai 2012

iPhone 5, nouvel iPad : Apple innove encore mais la crise ronge la pomme

LE PLUS. Que les fans se rassurent ! Apple n’est pas subclaquant mais il n’est plus à l’abri d’une crise réputationnelle qui pourrait enrayer la mécanique de la pomme et l’obliger à réviser sérieusement le déni communicant dans lequel Steve Jobs l’a plaqué pendant des années. Petite analyse prospective.

L'entrée de l'Apple store de San Francisco (GETTY IMAGES NORTH AMERICA/AFP)Apple tous muscles dehors !

Première capitalisation boursière mondiale à près de 600 milliards de dollars, la firme de Cupertino continue de faire saillir sans faillir ses pectoraux financiers. Le 24 avril dernier lors de la publication de ses résultats trimestriels, la pomme a encore pris à contre-pied les analystes en annonçant des chiffres nettement supérieurs aux prévisions : 3 millions d’iPad nouvelle version écoulés après 3 jours de lancement, 35 millions d’iPhone vendus entre janvier et mars 2012, un bénéfice trimestriel net de 11,6 milliards de dollars et une cagnotte de cash évaluée à plus de 110 milliards de dollars.

N’en jetez plus ! Apple tutoie les sommets en attendant la sortie de l’iPhone 5 programmée pour l’automne avant celle de la supputée arme secrète que d’aucuns lui prêtent : un écran de télévision intelligent qui s’appellerait iTV pour marcher sur les platebandes juteuses du futur marché de la télévision connectée. 

Sur le front des perspectives, c’est donc un euphémisme de dire que les analystes cultivent un enthousiasme contagieux. Peter Misek du cabinet Jefferies est convaincu que l’action d’Apple actuellement aux alentours de 600 dollars devrait atteindre les 800 d’ici quelque temps grâce aux nouveaux produits dans le tuyau mais également au potentiel du marché des pays émergents encore peu exploités par l’iPhone (notamment la Chine).

Son confrère Brian White de Topkea Capital Market est encore plus dithyrambique. Pour lui, l’entrée d’Apple sur le marché de la télévision ferait bondir l’action à 1001 dollars d’ici 2014 et générer une capitalisation boursière franchissant la barre mythique des 1000 milliards de dollars. Une tendance qu’il justifie pour Apple par "son portefeuille de produits toujours croissant, son réseau numérique intégré, son esthétique inégalée et sa marque capable de toucher l’âme des consommateurs de tous horizons".

Apple est d’autant plus puissant que son image de marque est un facteur décisif dans la décision d’achat des consommateurs. Le cabinet Interbrand estime (1) que la valeur de la marque Apple a progressé de 58% en 2011 pour atteindre 33,5 milliards de dollars contre "seulement" 23, 4 millions de dollars pour son rival immédiat qu’est Samsung. Pour Bertrand Chovet, directeur général du cabinet (2), "ce nom représente plus de 50% dans la décision d’achat". N’en jetez plus ! On se demande bien quel grain de sable pourrait faire vaciller une pareille hégémonie.

Limperméabilité inflexible dApple muterait-elle ?

Pourtant, tout observateur avisé aura noté que depuis la disparition de Steve Jobs, les critiques envers Apple ont quelque peu redoublé. Certes, Cupertino a déjà traversé des tempêtes sous le règne de son gourou inspiré comme les explosions inopinées de l’écran tactile de l’iPhone 3, la mauvaise performance de l’antenne des premiers iPhone 4 ou encore les révélations des conditions de travail désastreuses des ouvriers de Foxconn, principal sous-traitant d’Apple pour la fabrication de ses mythiques produits.

Sauf qu’à chaque fois et à total rebours des règles logiques de communication de crise, Apple a toujours balayé d’un preste revers de main les accusations sans que son image n’en pâtisse vraiment. Image protégée de surcroît par le charisme quasi inattaquable et intimidant d’un Steve Jobs peu décidé à s’en laisser conter à la moindre polémique commençant à poindre.

Aux yeux de l’autocrate PDG et fondateur d’Apple, rien ne devait entraver la triomphale marche en avant de son entreprise. C’est ainsi qu’Apple n’a jamais hésité à multiplier les batailles juridiques dans les tribunaux du monde entier pour tenter de faire fléchir Google et son système d’exploitation Android, concurrent direct et menaçant de son iOS propulsant sa gamme de smartphones. Une guerre sans merci voulue par l’inextinguible volonté de Steve Jobs, déterminé à faire plier l’autre géant de la Silicon Valley. En 2010, il déclarait d’ailleurs sans ambages : "Je vais détruire Android parce que c’est un produit volé".

Aujourd’hui, c’est désormais Tim Cook qui préside aux destinées d’Apple et la volonté n’est plus autant d’airain selon les mots mêmes du successeur de Jobs interrogé sur le sujet lors de la présentation des résultats du 1er trimestre 2012 : "J’ai toujours détesté les contentieux et je continue de les détester. Nous voulons juste que les gens inventent leurs propres choses (…) Je préférerais grandement régler les litiges que batailler".

Une chose est certaine : l’entreprise entre dans une nouvelle ère pas forcément pavée de bonnes intentions et cette fois sans son imposante figure tutélaire rarement contestée.

Foxconn, le boulet d’Apple

C’est en 2011 que le nom de Foxconn est venu entacher la réputation d’Apple. Jusqu’alors anonyme aux yeux du monde entier, cette entreprise taïwanaise qui assemble (entre autres) les produits Apple en Chine, accumule les déboires. Une explosion dans une usine d’iPad tue 4 personnes et en blesse 77 autres.

D’autres sites enregistrent dans le même temps une vingtaine de suicides d’ouvriers écrasés par leur charge herculéenne de travail et leurs conditions miséreuses. Les médias s’emparent de l’affaire mais Cupertino fait la sourde oreille. Aucun communiqué ne sera publié. Jamais Steve Jobs ne mettra les pieds dans les ateliers de son sous-traitant et l’affaire s’éteint petit à petit sauf sur le terrain où les ONG n’entendent pas baisser la garde.

Début 2012, les médias américains débusquent à nouveau la pomme. New York Times publie un sujet accablant sur Foxconn : ouvriers aux salaires dérisoires et aux horaires illimités, le tout dans des conditions d’hygiène déplorable où ces derniers sont entassés à 20 dans des trois-pièces sans parler de ceux qui sont intoxiqués par les produits chimiques utilisés pour nettoyer les écrans d’iPhone. En avril, c’est au tour d’un autre sous-traitant d’Apple, Wintek, d’être pareillement mis sur la sellette pour des motifs quasi identiques.

Rompant le silence traditionnellement érigé en règle intangible sous Steve Jobs, Tim Cook a décidé cette fois de réagir en confiant un audit à lONG Fair Labor Association pour la lumière sur les dérives pointées. Un premier pas vers une transparence plus assumée ? A voir tant lONG élue par Tim Cook est elle-même sujette à caution puisqu’elle est financée par les entreprises qu’elle contrôle. Pas idéal en termes d’impartialité et de crédibilité lorsqu’il s’agira de rendre des comptes publics.

Ricochets polémiques aux USA

Ce qui aurait pu rester confiné en Chine a pourtant eu tôt fait de rebondir très vite aux Etats-Unis. En mars, une ONG américaine, Change.org, a fait circuler une pétition pour dénoncer le traitement subi par les ouvriers chinois. Son leader, Mark Shields, s’en explique clairement : "Vous êtes Apple, vous êtes supposé penser différemment. Je veux continuer à utiliser et à aimer les produits de vous fabriquez parce qu’ils changent le monde et ont changé ma vie. Mais je veux aussi être sûr que quand je vous achète quelque chose, ce n’est pas au prix de terribles souffrances humaines". Plus de 245 000 personnes ont joint leur signature.

Or ce débat a eu pour effet collatéral d’en ouvrir un second au sein même de la patrie d’Apple à propos de la création d’emplois sur le territoire américain. En pleine course à la réélection à la Maison Blanche, ce thème est devenu l’un des piliers de la campagne de Barack Obama qui entend promouvoir le « made in America » et limiter les délocalisations. Avec seulement 47 000 salariés aux USA mais une montagne de cash obtenue notamment par un large recours à une sous-traitance asiatique, Apple s’est vite retrouvé dans l’œil du cyclone.

Là encore, la firme de Cupertino est sortie de son classique mutisme par le biais d’une étude du cabinet Analysis Group pour montrer qu’au-delà de ses propres effectifs, Apple génère des emplois indirects sur le sol américain estimés selon le rapport à un demi-million. Plusieurs économistes de renom se sont empressés de moduler à la baisse ces chiffres qu’ils jugent aléatoires à calculer. Mais le fait qu’Apple ait pris la parole pour se défendre au lieu de snober comme à son habitude, est révélateur du tournant communicant qui s’amorce.

Et de communication, Apple va sérieusement en avoir besoin alors que s’annonce un nouveau nuage propulsé ce coup-ci par l’implacable ONG Greenpeace. Depuis le 24 avril, celle-ci a lancé une campagne très offensive à l’encontre d’Apple en l’accusant d’être un pollueur patenté et d’utiliser le charbon comme énergie pour alimenter ses centres de données par où transitent les milliards de contenus échangés par les consommateurs de produits Apple. Via une vidéo virale au ton toujours aussi explicite et provocateur, la pétition a déjà rassemblé plus de 160 000 soutiens en quelques jours.

La légende de Steve Jobs s’écaille

En parallèle du chahut médiatique qu’Apple doit affronter sur le front du business, le messianique fondateur est également petit à petit déboulonné de son intouchable statut de "grand commandeur" visionnaire. Déjà à sa mort, la biographie de Steve Jobs rédigée par Walter Isaacson avait commencé à entrouvrir sotto voce la porte sur le management autoritaire (pour ne pas dire dictatorial) du gourou de Cupertino capable de congédier sur le champ un salarié qui ne lui revenait pas ou d’imposer une pression infernale sur les managers en charge d’un projet stratégique. 

Un grand écart réputationnel surprenant pour celui-ci qui aimait tant cultiver ses slogans comme des versets bibliques à l’instar du "Think Different" ou encore du "Stay Hungry, Stay Foolish".

En avril dernier, un second livre intitulé "Inside Apple" a opéré un chirurgical démontage du management à la Steve Jobs et de la culture d’entreprise qu’il a instillée parmi ses équipes. L’enquête est bien loin d’une hagiographie béate du concepteur de l’iPhone. Au contraire, elle démontre comment l’obsession de domination et le culte du secret de Steve Jobs ont façonné l’entreprise de manière aliénante au point que le journaliste auteur de l’ouvrage, Adam Lashinsky résume la perception paradoxale de l’entreprise-culte en une phrase (3) : "Tout le monde chez Apple veut partir et tout le monde à l’extérieur veut y entrer".

Or, là aussi, la disparition de Steve Jobs va induire un défi qui n’est pas sans impact pour l’image et la performance d’Apple. Selon Adam Lashinsky, le challenge se pose ainsi pour Tim Cook (4) : "Il risque de faire face à une hémorragie de talents. Grâce à un mélange de crainte et d’admiration qu’inspirait Steve Jobs, le top management est resté incroyablement stable ces 15 dernières années (…) C’est cette stabilité, entre autres, qui a fait la force d’Apple. Mais, après toutes ces années, certains dirigeants pourraient bien ressentir l’envie d’aller voir ailleurs".

Avis inexorable de tempête ?

Un fait est en tout cas indubitable. Apple n’inspire plus autant la "terreur" depuis que son démiurge est passé de vie à trépas. Ainsi en France, le principal distributeur de produits Apple, eBizcuss, a osé traîner la marque à la pomme devant la justice en avril 2012 au motif "d’abus de position dominante" et de "dépendance économique".

Selon la société française, Apple privilégierait ses propres Apple Stores au détriment des distributeurs sous contrat. Son patron, François Prudent ne regrette pas d’avoir brisé un tabou dans l’univers feutré mais musclé d’Apple et son réseau de distribution : "On a un vrai sentiment de colère et d’écœurement. Apple n’a aucun état d’âme concernant l’écrasement de notre réseau (…) Est-ce que cette société a tous les droits ?".

Devant cet amoncellement de signaux de crise, est-ce alors à dire quApple va entrer dans une phase de turbulences où son avenir pourrait ne plus être aussi radieux quil ne le fut sous la gouvernance de Steve Jobs ? La réponse est non pour le court-terme. Malgré la multiplication des attaques frontales à divers niveaux, Apple nest pas prêt de sécrouler pour autant. Comme le souligne Adam Lashinsky, "lombre de Steve Jobs et ses recettes pour le succès ne sont pas prêts de s’effacer." (5).

En revanche, le nouveau management d’Apple serait fort inspiré de tenir compte de ces signaux d’alerte. Du fait précisément de sa position de leader et de marque emblématique, les exigences du corps sociétal (mettons à part les Applemaniacs pour lesquels aucune critique de la pomme ne saurait être admissible) vont grandir de manière croissante. Shaun Rein, consultant en Chine et fin connaisseur du marché, analyse ainsi l’évolution que vit Apple depuis la mort de Steve Jobs (6) : "Apple est un bouc émissaire parce qu’il connaît un succès sans précédent. Mais c’est sa responsabilité d’améliorer la situation dans des entreprises comme Foxconn. Il peut lancer le mouvement".

Les postures adoptées par Tim Cook montrent qu’Apple commence à remiser au placard le déni arrogant qui lui a servi pendant si longtemps de boutefeux. Mais le nécessaire changement de communication avec son écosystème demeure malgré tout un vaste chantier qui doit impérativement être approfondi. Apple ne pourra pas éternellement s’abriter derrière la magie de sa marque pour passer subrepticement entre les gouttes de la polémique.

( Source : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/543512-iphone-5-nouvel-ipad-apple-innove-encore-mais-la-crise-ronge-la-pomme.html )

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